Thursday, March 30, 2006

Autour de Dieu, du Chêne et du Bourbon...

Tous ces dieux, de Benoît XVI, de Bin Laden, de G.W. Bush, ne peuvent être très authentiques. Ils sont beaucoup trop colorés, trop tranchés. Ils sont trop reconnaissables pour être divins.
Si Dieu existait il serait nécessairement universel et parfait. Il serait donc fait d’un petit peu de tout. Et il en serait couleur passe muraille, presque méconnaissable. Il se fondrait dans l’univers comme un caméléon. D'ailleurs, l’avez-vous déjà vu ?
Riche et complet comme la vie, mais pas coiffé d’un chapeau jaune, ni arrosé d’extrait de jasmin !

Laissez-moi vous expliquer… tout cela a commencé à se faire clair durant la dernière semaine de décembre. Nous étions chez Mageritte, la fameuse cave à vin du vieux Cadiz, et nous tentions d’y choisir quelques fines bouteilles pour le réveillon. La caviste, une très bonne conseillère, nous suggérait des pistes pour choisir des vins de Rioja qui, avais-je demandé dans mon très pauvre espagnol de cuisine, auraient déjà bien fondu leurs tanins mais, surtout, dont le goût boisé serait discret…
"Usted entiende, Senora ? (Lo siento, pero yo no hablo castillan bien) ... en el vino de Rioja de nos dias no me gustan las virutas de robles."
Elle s’esclaffa, polie, marchande, mais scandalisée néanmoins : virutas de robles !? des copeaux de chêne dans les vrais vins de Rioja ? Il n’en est pas question ! Des tonneaux, oui. Et même un soin tout particulier pour garantir un séjour prolongé dans des fûts, d’abord de chêne français, puis, dans les meilleures caves, transvasement dans des fûts de chêne américain, au goût plus doux, teinté de coco…
Voyant bien qu’elle m’apprenait quelque chose, et même qu’elle m’avait un peu surpris, voire désarçonné, elle fut encouragée à continuer de m’enseigner quelques rudiments de son art.
- Oui, un goût qui rappelle la noix de coco. Comment l’expliquerais-je ? Vous connaissez le Bourbon ?
Comme j’acquiescais avec des yeux gourmands elle continua, alors que, déjà, j’avais tout compris : d’un instant à l’autre, j’allais perdre (encore !) un de mes mythes sacrés.
- Vous voyez, Senor, le chêne de France a plutôt un goût de vanille, tandis que le fût en chêne d’Amérique, c’est bien ce qui donne au Bourbon du Tennessee son goût caractéristique … de noix de coco. Si ?.
Et voilà, patatras ! le Bourbon, c’est pour moi, depuis 45 ans, à chaque petite gorgée sobrement religieuse, le souvenir vivant de ces nuits passées à boire de ce breuvage des dieux en compagnie, parfois d’un étudiant flamand qui m’apprenait sur la psychosomatique des choses que je n’aurais pas même imaginées, ou encore d’un activiste afro-américain dans le ghetto black du Chicago des "early sixties" qui m’expliquait la géopolitique ségrégationniste des agences immobilières de la ville. Ce Bourbon sacré, voilà qu’on me le met dans une éprouvette pour l’analyser, comme un vulgaire échantillon d’urine, me le disséquer, bref me l’écorcher vif jusqu’à ce que mort s’en suive, jusqu’à la disparition de son âme même ! et jusqu’à ce que je voie, non pas que le dieu est nu mais, bien pire, qu’il porte un chapeau jaune canari ! juste comme celui de Bush (son dieu, pas son chapeau)!
Pourrais-je jamais reboire un "straight bourbon" sans que mon palais ne cherche à isoler la touche de coco ? Pourrais-je encore retrouver un jour, en un flash magique, le monde sensoriel et intellectuel des échelles d’incendie des blocs d’appartements pouilleux de Chicago, où nous buvions dans la fraîcheur de l'aube, les jambes pendant dans le vide?
La perfection n’a pas de chapeau jaune. Dieu ne pue pas du bec.
Dans un cuisine de gourmet vraiment divine on ne peut reconnaître aucune épice. Rah ! la vulgarité de ces ragoûts égyptiens qui sentent le cumin à vingt pas ! de ces bouillabaisses qui puent l’aïl aux terrasses marseillaises pour touristes, de ses soupes vietnamiennes ratées, dans les faubourgs de Bruxelles, dont la coriandre couvre toutes les saveurs.
Et maintenant les vins de Languedoc, et même les célèbres Rioja, qui sentent le chêne américain avant même qu’on ait pu goûter leur fruit ou commencer à deviner l’arrière goût de leur moût ! On se croirait dans les bars à hôtesses de Pointe-Noire, asphyxié dans les effluves des parfums à base d’aldéhydes de synthèse grossièrement fixés à l’ammoniaque.

Est-ce Parker qui a inventé ce culte du boisé ? est-il "born-again" républicain ? a-t-il peur de ne pas reconnaître dieu quand Il reviendra ?
Si toutes les caves de France se mettent à faire du "world wine" pour vendre aux américains, aux japonais et aux hôtesses de Pointe-Noire, si tous les petits Corbières, les grands Rioja, et les Buzet qui tachent, se font "teinte-et-cirer" au "Chêne moyen", alors… il ne nous restera plus qu’à boire de bons petits Malbec d’Argentine ou du Chili.

Mais à Cadiz, dans le sanctuaire Magerritte, la caviste a compris. Elle nous a trouvé une bouteille de Quinta de Tarsus 1998 qui était… presque divine. Non ce n’est pas un Rioja, c’est un Ribera del Duero, une vallée voisine, un peu plus au sud-ouest, tout aussi fameuse pour ses vins mais moins obsédée par le chêne et les goûts « export ».
Et tant pis pour le bourbon et la nostalgie. Dégustons ce Tarsus.
Dieu, le Vrai, l’Universel, le Tao, c’est l’instant !